Ces faits sont bien évidemment fictifs. Toute ressemblance avec des événements existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Karim H. appartenait à ces gens que l’on estimait pour sa réussite sociale. Né banlieusard de parents que la pauvreté avait déracinés du bled‚ mais élève sérieux‚ appliqué‚ alerte‚ au regard vif et à l’intelligence reconnue de tous ceux qui l’avaient côtoyé‚ il s’était donné tant de mal pour s’arracher à la misère sociale que paraissaient trop souvent impliquer ses origines. Chaque fois qu’il était encouragé par les écoles à témoigner‚ il racontait ces soirées à veiller dans sa chambre ou ces mercredi après-midi dans la bibliothèque municipale‚ dévorant les livres que la France‚ sa terre d’adoption‚ semblait lui avoir destiné. Il n’oubliait pas non plus de partager sa révolte sincère contre la délinquance trop souvent prégnante‚ l’insalubrité croissante des habitations et l’inaction des pouvoirs publics. Il se définissait comme un bon musulman‚ allait régulièrement le vendredi à la mosquée‚ récitait les cinq prières quotidiennes.

Depuis peu‚ toutefois‚ il semblait différent. Était-ce les prêches enflammés du nouvel imam ? La colère face aux reproches de la société occidentale ? Les regards inquisiteurs posés sur sa personne ? Sa compagne‚ Latifa‚ qui portait le voile et songeait de plus en plus à s’habiller de manière plus ample et plus sombre ? Tout portait à croire que Karim‚ depuis toutes ses années où il avait pris sur lui face à ce monde hostile‚ devenait de plus en plus radical dans sa pratique de l’Islam. Ceux parmi ses quelques amis blancs qui l’avaient côtoyé‚ le comprenaient de moins en moins. Il refusait l’alcool‚ les sorties en boîte de nuit ; crachait par terre comme une petite frappe ; rotait en prononçant des formules en arabe quand il avait apprécié un repas ; refusait de plus en plus de se mêler à eux. Karim reçut plusieurs fois la visite discrète de quelques agents de la DGSI et fut assez vite inscrit sur la liste des fichés S. Même ses amis d’origine arabe redoutaient que le jeune chef d’entreprise passât à l’acte et commît l’irréparable.

Un jour‚ Karim se volatilisa. On avait l’habitude‚ dans ce monde étroit de la cité‚ des fuites vers la Syrie ou la Turquie voisine‚ mais tous furent surpris‚ d’autant plus que Latifa était encore là. D’ailleurs‚ elle alla en parler à une voisine‚ Yasmina B.‚ qu’elle appréciait beaucoup et qui la soutenait dans sa pratique radicale de l’Islam. Yasmina portait la burqa et encourageait de plus en plus Latifa dans sa foi islamique.

Latifa n’avait rien entendu‚ rien vu. Karim avait simplement pris la voiture qu’il avait déposé à une gare‚ deux billets de cinquante euros‚ et laissé un petit mot à Latifa avec des coordonnées géographiques et de quoi payer le parking et récupérer la voiture.

Quelle ne fut pas la surprise de Latifa‚ quand elle saisit les coordonnées noté sur le morceau de papier‚ quand elle vit que Karim avait indiqué les coordonnées d’un lieu qu’elle ne connaissait pas‚ qui se situait à sept kilomètres de la ville du Blanc‚ à la frontière entre la Creuse et l’Indre.

Sans tarder‚ Latifa demanda à Mohammed B.‚ époux de Yasmina (mais non devant la loi républicaine‚ car officiellement ils étaient concubins‚ eux qui rejetaient la laïcité)‚ de l’accompagner avec deux amis dans ce petit village indrois‚ au lieu indiqué. Mohammed B. accepta sans hésiter. Contrairement à Latifa‚ il savait de quel lieu il s’agissait‚ et se promis d’y commettre l’attentat dont il rêvait depuis si longtemps.

Après avoir quitté l’autoroute A20‚ bifurqué en direction du Blanc‚ Latifa sentit une force intérieure‚ comme une étrange atmosphère dans tout son corps‚ quelque chose d’inexplicable‚ encore plus fort que l’amour – sincère et droit – que son mari lui portait. C’est à peine si elle entendit Mohammed parler à ses deux acolytes Amine et Salah-ud-Dîn :

« Wallah ! Qu’est-ce que Karim est allé faire dans un monastère ? Il a apostasié‚ starfoullilah ? Si tel est le cas‚ je souhaite que Allah [Il prononça l’eulogie] lui donne le châtiment qu’il mérite. »

De son appartement de banlieue‚ Yasmina priait le Créateur pour la réussite de l’attentat. C’est à peine si elle entendit le GIGN entrer dans l’immeuble. Les cris des voisins parvenaient à peine à ses oreilles. Elle était en transe‚ priait avec fureur contre les ennemis de la religion‚ contre ceux qui n’empruntaient pas les sentiers d’Allah. Elle s’était relevée‚ qu’aussitôt elle s’aperçut que ses enfants s’étaient cachés. Son fils aîné‚ âgé de treize ans‚ avait pris un pistolet et l’avait enclenché. Un vrai soldat du Prophète‚ dit-elle en pensée.

Elle rejoignit leurs six enfants‚ et entendit les militaires frapper à sa porte. Puis‚ la porte éclata en plusieurs morceaux. Elle entendit la voix hésitante mais déterminée de son fils crier :

« Allah akbar ! Cassez-vous‚ bande de Kafîr ! »

Il s’élança vers les gendarmes d’élite‚ tira deux coups. Puis un troisième tir retentit‚ le blessant à l’épaule. Yasmina était pleine de fierté pour son fils‚ qui avait voulu accomplir le chahîd et gagner le paradis. Peu lui importait les menottes dont on l’enserrait‚ elle avait permis à son fils aîné de suivre le chemin d’Allah.

Un avis de recherche avait été émis pour retrouver les trois terroristes‚ ainsi que Karim et son épouse Yasmina. À la gendarmerie du Blanc‚ on paressait‚ songeait encore qu’il s’agissait de problèmes de Parisiens ou de Marseillais. C’est alors que deux moines bénédictins se présentèrent au poste‚ accompagnés d’un homme à la barbe fraîchement et intégralement rasée. Dom P.‚ frère R. se présentèrent. Le troisième‚ les gendarmes ne tardèrent pas à le reconnaître : Karim. Comment était-il arrivé là ?

« Bonjour‚ dit dom P. Nous avons accueilli ce jeune musulman‚ qui nous a expliqué s’être converti depuis peu à la foi de Jésus-Christ. Il m’a appelé de cela deux semaines. Il disait qu’il voulait fuir la cité‚ quitter l’islam et recevoir le baptême. Nous lui avons discrètement réservé un train entre Paris-Austerlitz et Tours‚ et l’avons récupéré là-bas.

— C’est exact‚ déclara frère R.‚ Karim H. que voici m’a appelé quand j’étais à la porterie‚ en larmes‚ en déclarant être tombé sur l’exposition de Carlo Acutis sur les miracles eucharistiques‚ dans une tentative – vaine – de trouver des arguments à même de contredire la foi catholique. »

Dans l’instant‚ le sergent qui avait reçu la déposition appela son capitaine. Celui-ci intervint‚ et demanda à Karim de parler. Celui-ci confirma les dires des deux moines‚ Il ajouta qu’il désirait montrer les caches d’armes qui devaient servir à l’attentat‚ détaillant avec précision les plans de l’attaque qui devait avoir lieu dans les prochains jours contre une église parisienne. Il demanda à purger la peine que la Justice exigerait de lui pour trafic et recel d’armes de guerre en vue de commettre un acte terroriste.

Aucun ne vit ni n’entendit la voiture de Mohammed B. bifurquer en direction de Fontgombault.

À la porterie de l’abbaye bénédictine‚ frère S. indiquait aux pèlerins les heures de l’office. Soudain‚ il vit surgir devant lui un homme armé d’un fusil-mitrailleur qui hurla des mots en arabe. Il n’eut qu’à peine le temps de se baisser que des coups de feu retentirent. L’une des balles l’atteignit à l’épaule droite et une autre manqua de le toucher à la tête. De longues minutes passèrent‚ pendant lesquelles‚ armé de son chapelet‚ il pria‚ voyant sa vie défiler devant ses yeux. Au bout de quelques minutes‚ alors qu’il avait entendu les terroristes quitter la porterie‚ il se releva et appela immédiatement la gendarmerie.

Dom P.‚ quand on lui apprit la nouvelle de l’attentat‚ s’effondra en larmes. Mais il dit‚ d’un mot qui dépasse notre entendement humain :

« Le Seigneur a donné‚ le Seigneur a repris‚ que le nom du Seigneur soit béni [Jb 1, 21] ! »

Frère R. se tourna vers Karim‚ en pleurs :

« N’aie pas honte‚ Dieu a un plan plus grand que nos visions propres. »

Karim répondit :

« Je n’ai pas honte. Jésus est miséricorde. Il peut encore pardonner à mes anciens amis. »

L’attentat avait tué un tiers des moines‚ en avait laissé dix plus ou moins grièvement blessés‚ et plusieurs pèlerins étaient également morts. Dans un accès de haine‚ Mohammed et ses comparses avaient saccagé l’église abbatiale. Puis ils s’étaient fait sauter devant le tabernacle‚ pensant briser les hosties consacrées et détruire le Saint-Sacrement.

Latifa était entrée à son tour dans l’abbaye. Quand elle vit les trois corps sans vie de ses amis‚ elle détourna le regard. C’est alors que son regard croisa les saintes espèces.

Elle comprit tout l’amour qui se dégageait de cet endroit‚ s’en sut indigne. Mais elle n’eut pas la force de se pardonner ce geste qu’elle avait provoqué : elle s’empara d’un pistolet‚ partit dehors‚ afin de fuir le regard de l’hostie. Puis un dernier coup de feu retentit dans la campagne indroise.

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