Ah ! vieux cœur contrit par une âme trop pleine !
Ah ! vieux doigts tremblants de trop filer la laine !
Ma pauvre main se force à tirer le vieux fil.
Ah ! vieux os brisés qui datent de l’an mil !
Ah ! vieille peau fripée qui ne sera plus neuve !
Au fond de mon chagrin je suis la pauvre veuve
Qui dans le froid d’hiver tricote son malheur ;
Sur mon morne visage on peut toucher le pleur
De la femme endeuillée qui supporte la vie,
Sans même un faible espoir, sans désir, sans envie.
La mort est un poison qui ne veut pas venir.
Mon fil, mon lâche fil se laisse dépérir
Entre mes faibles doigts gâtés par la vieillesse.
Dans un miroir fêlé tout au bout de la pièce,
Mon image. Elle est morte, et moi je vis encor.
Souviens-toi, cher lecteur, du fier éclat de l’or,
Souviens-toi jusqu’au bout de sa belle dorure ;
Je voudrais tant connaître une claire parure.
Hélas ! mon fil me semble être un sombre tueur
Que des ciseaux mortels ont coupé ; sa lueur
Paraît le noir reflet de l’œil vide des Parques.
Je sens que de l’Enfer elles portent leurs marques
Contre les survivants, d’un bref coup de ciseaux ;
Et si par leurs doigts secs comme de durs roseaux
Qui tombent au hasard, le fil qui me fait vivre…
Pourquoi de mon malheur ne suis-je jamais ivre
Pour pouvoir oublier, oublier que je vis,
Effacer de mon cœur les tourments et leurs ris.