Jacques Pourcal, petit agriculteur de la région angevine, était un homme en qui l’on pouvait avoir confiance, car il était bon, juste et généreux. Hélas, il mourut bien vite. Avec sa femme, Simone, il avait eu un fils, Jean, que l’on surnommait affectueusement le petit Jeannot.
Quarante ans après la mort du respecté M. Pourcal, son fils, désormais à la tête d’une immense exploitation, avait de quoi être fier du travail accompli. Il s’était peu à peu agrandi, évitant les conflits directs avec le Contrôle des structures et filières agricoles. Il disposait dé-sormais de trois cent cinquante-trois hectares, suscitant la jalousie chez ses confrères qui pei-naient encore à franchir le cap des quarante hectares réglementaires des exploitations agricoles soumises à autorisation. Il cultivait maïs et blé, en plus de deux cents trente vaches laitières qu’il laissait paître sur ses cent quatre hectares de prairies. Il était plutôt en bon termes avec les propriétaires des terres qu’il louait, et qu’il comptait à terme acheter.
Les autres paysans, cependant, ne l’aimaient pas vraiment, voire le haïssaient. Le petit Jeannot, murmuraient-ils, n’était pas comme son père, Jacques. Le petit Jeannot, eh ben, il avait pris la grosse tête. Il s’était fourré dans le crâne qu’il fallait s’enrichir en disposant de beaucoup de terres, pour lesquelles seul le rendement comptait. Il se disait que ses proprié-taires, il les avait achetés à coup de centaines de milliers d’euros, dont on ne savait trop d’où il les tirait, lui, le fils de petit fermier de la région. Corruption ? Emprunts ? Lui-même entrete-nait le flou.
Ce qui est sûr, c’est que certains qui la veille juraient que, au grand jamais, ils ne ven-draient ni ne loueraient leurs terres à Jean, au moment de signer, s’étaient bien vite ravisés. Quant à la direction départementale des territoires, au début regardante, elle avait bien vite renoncé à mettre un terme à la folie des grandeurs de Jean Pourcal. Au Service d’économie agricole, quand une demande, ne serait-ce que d’un hectare ou deux, arrivait de sa part, on semblait tout à coup disposé envers lui. Et ce, alors même que personne ne l’appréciait.
Il y a quelques mois, ses calculs l’avaient arrêté une petite exploitation viticole. À la DDT, personne ne broncha. Pas beaucoup plus à la commission départementale de l’orientation de l’agriculture. Mais le propriétaire, lui, résista. La CDOA, sans trop y croire peut-être, ou par plaisanterie sûrement, avait également accordé l’autorisation à un jeune viti-culteur venant du Saumurois. Il s’avéra que le propriétaire laissa ses six hectares de vignes au jeune, et pas à Jean Pourcal.
Vice-président de la FDSEA, Jean Pourcal avait longtemps regardé de hauts ces gars de la terre qui n’avaient pas choisi le bon syndicat. Mais aujourd’hui, il était bien obligé de s’incliner. De baisser les bras. De tout abandonner. Il n’avait jamais connu l’échec, lui, l’agriculteur au rendement élevé et à la fortune désormais bien acquise. Mais il s’était lancé, comme dans un nouveau défi, de produire du vin. Pour cela, il avait décidé de faire des études par correspondance de viticulture à l’École supérieure d’agriculture.
Le jeune agriculteur, Tommy Courtois, était honnête et travailleur. À Jean, il rappelait l’image lointaine d’un père parti trop tôt. Simone Pourcal lui en avait souvent parlé, de ce père. Mais à cause de lui, Jean avait vécu chichement. Il s’était promis d’être riche, quels que soient les moyens qu’il lui faudrait mettre.
Il l’avait vu trois fois, Tommy. La première fois, il ressortait de la maison de Marc Chaunu, le propriétaire des vignes. Ils s’étaient salués, sans même se regarder. La deuxième fois, alors que Jean Pourcal avait doublé ses prix auprès de M. Chaunu, afin de le convaincre de racheter ses vignes, il était ressorti en croisant Tommy, qui s’apprêtait à signer le bail à ferme. La dernière fois, c’était avant-hier. Tommy avait le regard triomphant, tenant l’arrêté préfectoral qui l’autorisait à exploiter. Jean avait eu une envie noire de lui arracher et de le dé-chirer.
Désormais, il tenait dans une main, un fusil de chasse, et dans l’autre, un morceau de papier, sur lequel étaient résumées les raisons de sa réussite. Un papier qu’aujourd’hui il aurait bien préféré ne jamais écrire. Il stipulait qu’au premier échec, il se tuerait.
Il arma le fusil, et se tira une balle dans la tête, non sans avoir écrit son testament. Il demandait à ce que les terres qu’il possédait soient léguées à l’État.
Quand on retrouva son corps sans vie, la FDSEA lança un procès contre Tommy Cour-tois et Marc Chaunu pour assassinat.